Introduction

Les fibres nerveuses sont groupées en fascicules rassemblés par du tissu conjonctif entre les mailles duquel se trouve du tissu adipeux. Ils sont également entourés d’un réseau microvasculaire qui joue un rôle très important dans la vitalité et les capacité de régénération du nerf.

Les nerfs peuvent être traumatisés par compression, étirement, section ou arrachement. Les lésions qui en résultent ont été classées par Seddon puis par Sunderland :

La classification de Seddon comporte 3 stades :

  • Neurapraxie : les axones sont conservés. Il s’agit d’une atteinte myélinique
  • Axonotmésis : les axones sont lésés, mais les conduits conjonctifs sont conservés, ce qui permet une repousse dirigée
  • Neurotmésis : les gaines conjonctives sont coupées. La repousse est désorganisée.

La classification de Sunderland apporte des précisions au stade de neurotmésis, selon que l’endonèvre, le périnèvre ou l’épinèvre est lésé, c’est-à-dire selon que la structure fasciculaire du nerf est plus ou moins dégradée.

Le bilan ENMG a pour objectif :

  • De préciser le niveau lésionnel par la stimulodétection et la cartographie des muscles lésés.
  • De faire la distinction entre neurapraxie et lésions axonales, ce qui a une valeur pronostique
  • De suivre la repousse nerveuse, les signes EMG de réinnervation étant souvent en avance sur la récupération clinique.

La classification de Seddon conserve donc tout son sens pour les électromyographistes. La classification de Sunderland repose sur les explorations d’imagerie et les constatations per-opératoires et concerne plus directement le chirurgien.

La neurapraxie = atteinte myélinique

Données de stimulodétection

  • Stimulation sous la lésion : amplitude normale, vitesse normale
  • Stimulation au-dessus de la lésion :
    • Vitesse ralentie sur le segment comprimé
    • Amplitude normale si compression faible
    • Amplitude diminuée, réponse étalée si BLOC de conduction.
  • Au niveau des segments proximaux :
    • Vitesse normale,
    • Réponse similaire à celle de la stimulation sus-lésionnelle.

Les muscles : clinique et EMG

La force musculaire est diminuée si le bloc est supérieur à 40 %. Le tracé est alors appauvri et accéléré, mais avec des UM normales

  • Il n’y a pas d’amyotrophie
  • Il n’y a pas d’activité de repos.

Bloc ulnaire au coude gauche : la réponse « sus-coude » est retardée et beaucoup plus faible que les réponses aux stimulations « sous-coude » et « poignet ».

Bloc ulnaire au coude (même patient) : silence au repos, tracé volontaire simple accéléré

Les atteintes axonales

La dégénérescence wallérienne

Elle commence 4 à 5 jours après la lésion axonale initiale.

A l’EMG, une activité spontanée apparait au bout d’une à 3 semaines. C’est plus court pour les muscles très proches de la lésion, plus long pour les muscles distants.

Entre temps, le segment distal des fibres nerveuses fonctionne encore et il n’est donc pas possible de distinguer neurapraxie et axonotmésis.

La mort axonale se traduit cliniquement par une amyotrophie.

Atteinte axonale ulnaire gauche : diminution d’amplitude à tous les niveaux. A droite, il existe une atteinte intermédiaire avec ralentissement à 25 m/s et bloc partiel : la réponse distale est préservée.

Atteinte axonale confirmée par une forte activité spontanée au repos. A la contraction volontaire, les unités motrices sont peu nombreuses (appauvrissement) et accélérées (recrutement temporel). Elles sont aussi augmentées de taille par multiplication des ramifications distales (sprouting)

La compensation par sprouting distal

Si des fibres nerveuses ont été épargnées par la lésion (compression, étirement), les fibres restantes développeront de nouvelles terminaisons qui coloniseront des fibres musculaires orphelines : c’est le « sprouting » distal. Les unités motrices restent diminuées en nombre et accélérées, comme dans l’exemple ci-dessus.

Ce mécanisme peut rendre un peu de force clinique, mais le muscle restera fatigable et ne pourra pas tenir un effort prolongé. Les contrôles EMG sont donc utiles pour voir s’il existe vraiment une repousse nerveuse qui annonce alors une récupération de meilleure qualité.

A défaut de repousse axonale, les fibres musculaires dénervées vont mourir et être remplacées par de la graisse. L’activité motrice spontanée disparait. L’atrophie devient irrémédiable.

La régénérescence axonale

Elle est possible en cas d’axonotmésis ou de suture micro-chirurgicale. Il lui faut un guide : ce sont les gaines conjonctives et les cellules de Schwann qui tracent la route.

La repousse se fait à la vitesse d’un millimètre par jour (Tinel), si les conditions sont favorables : microchirurgie bien faite, bonne vascularisation, pas de compression ni de tension sur le nerf, un sujet jeune, sans tabagisme… Cela veut dire 1 cm tous les 10 jours ou 3 cm par mois. Il faut jusqu’à 2 ans pour un nerf sciatique.

La myéline qui se reforme autour de l’axone a une qualité dégradée. Les nouvelles fibres conserveront une vitesse de conduction ralentie.

Si les correspondances microfasciculaires n’ont pas été respectées par les sutures, il peut se produire des erreurs d’aiguillage entre muscles et entre fibres sensitives et nerveuses.

 

Traumatisme de l’épaule avec atteinte multitronculaire. Brachioradial à 3 semaines : quasiment pas d’activité volontaire ni de repos.

Brachioradial à 5 semaines : pointes positives au repos. Tracé volontaire fait de micropotentiels de réinnervation avec une bonne richesse.

Brachioradial à 4,5 mois : silence au repos. Les unités de réinnervation ont bien augmenté d’amplitude. Le tracé se normalise. Même évolution sur les autres muscles avec une récupération proximodistale homogène.

 

Prise en charge des plaies nerveuses

Prise en charge initiale

La prise en charge commence d’emblée par l’exploration chirurgicale de la plaie, suivie de la réparation en un ou deux temps.

Suivi de la récupération

Le suivi de la récupération repose sur la clinique et EMG :

  • Le niveau du front de repousse est apprécié par le signe de Tinel, la cartographie sensitive et le testing musculaire. Le retour de la sensibilité est souvent précédé de paresthésies plus ou moins désagréables. Il faut rassurer les patients. En mesurant la distance entre le site du signe de Tinel et les effecteurs, on peut déterminer le délai utile avant la prochaine consultation de contrôle.
  • L’EMG à l’aiguille est en avance sur la récupération clinique, en montrant l’apparition de micropotentiels de réinnervation, qui va de paire avec une diminution de l’activité spontanée.
    • Dans les bons cas, les micropotentiels vont être de plus en plus nombreux, selon une progression proximo distale. Puis leur amplitude va croître avec le retour de la force musculaire.
    • Dans les mauvais cas, les potentiels vont rester rares et accélérés. La force musculaire va rester nulle ou faible, le muscle restera fatigable.
    • Des erreurs d’aiguillage peuvent se traduire par des contractions ectopiques ou des sensations bizarres.

Délai critique de récupération (Zacharie)

  • Médian : 9 à 32 mois
  • Cubital : 16 à 29 mois
  • Radial : 9 à 16 mois
  • Musculo-cutané : 3,8 à 9 mois
  • Sciatique : 12 à 15 mois

Le pronostic repose sur le type de lésion, le type de nerf, la localisation, l’âge et l’état général du patient. Une lésion délabrante, une suture en zone peu vascularisée, une compression ou une tension persistante sur le nerf, un terrain diabétique, artéritique ou tabagique sont de mauvais pronostic.

 

Les traumatismes fermés

Le bilan clinique initial est très important

Il peut être difficile à réaliser à cause des douleurs, des lésions ostéoarticulaires et/ou vasculaires associées, d’une menace vitale (hémorragie) ou d’un trouble de la conscience.

A distance, il sera néanmoins très utile de savoir si l’atteinte nerveuse a directement suivi le traumatisme ou si elle est apparue en post-opératoire, après une immobilisation plâtrée ou encore un état comateux prolongé.

Le compte-rendu opératoire doit aussi mentionner si le nerf a été visualisé ou si des précautions ont été prises pour le mettre à l’abri. Par exemple, pour le nerf radial lors de la pose d’une plaque sur l’humérus. Cela évitera de se pauser la question d’une possible incarcération du nerf.

L’ENMG est pratiqué à 3 ou 4 semaines, puis tous les 3 à 6 mois

La stimulodétection motrice montre s’il existe un bloc ou une atteinte axonale : réponse nulle ou diminuée à la stimulation sus-lésionnelle dans les 2 cas, réponse préservée à la stimulation sous-lésionnelle s’il y a un bloc, réponse altérée à tous les étages de stimulation si l’atteinte est axonale.

La distinction n’est possible qu’une fois le temps de dégénérescence wallérienne écoulé.

  • Il faut faire une stimulation étagée pour situer le niveau du bloc
  • Le degré d’atteinte est déterminé par la baisse d’amplitude et de surface de la réponse.

La stimulodétection sensitive montrera aussi :

  • Une réponse préservée en sous-lésionnel s’il n’y a qu’un bloc
  • Une réponse diminuée ou abolie si les fibres nerveuses sont détruites

L’EMG à l’aiguille recherche :

  • Une activité de repos = fibres musculaires vivantes dénervées
  • Un appauvrissement ET une accélération = dénervation fonctionnelle (bloc) ou anatomique
  • Des microunités polyphasiques = réinnervation débutante
  • Des unités polyphasiques, allongées = réinnervation en cours
  • Des unités géantes = sprouting : les unités motrices récentes multiplient leurs terminaisons pour réinnerver les fibres musculaires orphelines. C’est un mécanisme de compensation qui peut donner une certaine récupération de la force musculaire, mais le muscle restera fatigable car ce sont toujours les mêmes UM qui travaillent.

 

Quelle place pour l’ENMG en urgence ?

L’ENMG immédiat a un intérêt en cas de doute diagnostique, si la clinique et l’imagerie ne permettent pas de trancher :

  • Paralysie périphérique versus rupture tendineuse ou atteinte centrale
  • Paralysie tronculaire versus lésion radiculaire

On pourra mettre en évidence une interruption de la conduction, sans pouvoir dire s’il s’agit d’un simple bloc ou s’il y a une lésion axonale.

Il faut en profiter pour bien examiner le patient !

  • Il faut vérifier les amplitudes articulaires : attention aux capsulites d’épaule.
  • Bien vérifier les territoires nerveux adjacents, par exemple deltoïde et triceps.
  • Etudier la sensibilité et les réflexes.
  • Un contrôle ENMG sera programmé un mois plus tard.

 

La rééducation

Tant que les fibres nerveuses n’ont pas repoussé jusqu’à leur effecteur, il est illusoire de vouloir renforcer les muscles. L’électrostimulation motrice n’a pas grand intérêt et pourrait même être nocive vis à vis des UM en cours de régénérescence. Il faut simplement entretenir la mobilité articulaire et prévenir les rétractions.

  • Ne pas laisser le membre supérieur coude au corps en permanence. Installer le membre sur un coussin en abduction, faire des exercices d’auto-élévation, laisser le coude s’étendre.
  • A la main, soutenir le poignet par une petite orthèse laissant les doigts libres. Attention à la rétraction des métacarpophalangiennes en extension et des interphalangiennes en flexion. Faire des enroulements et des étirements passifs des doigs.
  • Aux membres inférieurs, attention au flexum de genou, parfois masqué par une attelle mal posée. Attention au recurvatum du genou en charge en cas de paralysie du quadriceps.
  • Appareiller les pieds tombants en veillant aux possibles déviations en varus ou valgus.
  • Attention aux appuis en zone insensible, qui peuvent produire des maux perforants difficiles à guérir.

Avec un appareillage simple et une auto-rééducation bien apprise, le nombre de séances de kinésithérapie peut être réduit au minimum.

Quand l’EMG révèle des potentiels de réinnervation, le moment est venu de démarrer un travail progressif de renforcement musculaire. Il faut commencer par des gestes globaux qui sollicitent les muscles fraîchement réinnervés par syncinésie. Puis, on travaillera de manière plus analytique. Il faut éviter de surmener les muscles réinnervés en allant jusqu’à la douleur ou la crampe. Des activités de bricolage, pétrissage, natation, pédalage, marche en pente, sont à recommander. L’appareillage est progressivement abandonné.